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  • Photo du rédacteurOlivier Balazuc

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Le mot « confinement », s’il on en croit Robert le Grand – qu’on appelle aussi le Petit dans sa version transportable – a un sens strictement coercitif lorsqu’il s’applique à l’être humain. Prisonnier ou malade, l’homme confiné se voit condamné à « l’isolement ». Le terme « déconfinement », quant à lui, est un pur néologisme (Robert tout court s’insurge), forgé dans les circonstances que nous traversons, pour ne surtout pas employer celui de « libération », qui serait son véritable antonyme.

Nous l’avons bien compris, le 11 mai ne sera pas le jour de la Libération – pas plus que le confinement ne signifiait l’entrée en guerre.

En tout cas, une nouvelle entrée sera nécessaire à « confinement » pour prendre acte de l’évolution de la langue (et Robert tire la sienne). La population mondiale a certes été amenée, dans sa grande majorité, à vivre l’expérience de la réclusion, avec toutes les privations et les difficultés que cela implique – et les conditions de rétention ne sont pas égalitaires – sans toutefois sombrer dans « l’isolement ».

Ce phénomène est assez extraordinaire à observer depuis quelques jours. Après une première période de sidération, une seconde de gestation par la réflexion et l’échange tous azimuts, une troisième phase s’est enclenchée, qu’on pourrait qualifier, sans craindre l’oxymore, d’utopie concrète. La « libération » a devancé le 11 mai sur le plan de la pensée, de la prise de parole. Les dirigeants, dépassés par l’ampleur d’une crise systémique, acceptent d’écouter les appels et les propositions émanant de la société civile. Des tribunes, des manifestes se relayent dans les journaux et sur la toile. Ils se relayent, mais surtout s’étayent. Le confinement n’a pas isolé les individus, il les a réunis. Ce qui est unique dans ce mouvement, aussi puissant qu’une lame de fond, c’est la prise de conscience globale dont il témoigne, en dépit des urgences particulières à chaque catégorie de population ou à chaque secteur touchés. Le climatologue parle au nom des migrants. Les intermittents du spectacle au nom de tous les précaires. Les spécialistes se « déconfinent » de leur stricte domaine de compétence pour oser un engagement commun. Défendre une cause a valeur d’exemple. Défendre une cause, c’est ouvrir la défense de toutes, car les causes, par nature, sont inextricablement liées. Et l’on ne traitera pas les conséquences de la crise, sans s’attaquer aux causes, c’est-à-dire se remettre en cause. Il ne s’agit plus de négocier des « ajustements », mais bien de revenir au principe des choses.

Oui, ce phénomène est extraordinaire parce qu’il n’est ni idéologique ni politique. Il en appelle au politique, il tente d’infléchir l’idéologie, mais il n’est pas le produit d’une volonté partisane. Il est irrécupérable en l’état par quelque faction, lobby ou groupe d’intérêts que ce soit.

Un ami me demandait l’autre jour : « comment résister lorsqu’on se sent isolé ? »

L’isolement est en train de se rompre. L’acte de résister consiste d’abord à insister. Et quelque chose insiste, enfle, tambourine, trépigne, foisonne comme une source d’énergie qui, elle, ne se laissera pas confiner, au risque de devenir explosive. Le confinement en lui-même n’a fait que révéler, concentrer la détresse respiratoire du monde. C’est le système qui se retrouve sur la plateforme de réanimation.

Depuis deux mois, toute actualité a disparu. Toute actualité autre que celle liée à la pandémie. Nous sommes obnubilés, saturés et loin d’en voir le bout. C’est de là qu’il faut repartir.



La question n’est pas celle d’un retour « à la normale » – le monde « d’avant » n’avait rien de normal.

Les actualités qui nous occupaient quelques jours avant l’entrée en confinement n’avaient rien de normales. Elles dénonçaient des pratiques discriminatoires, des violences faites aux femmes, aux enfants, aux plus miséreux. Toutes ces causes ont été absorbées pour être restituées dans une crise totale. Universelle.

Si j’en crois Robert le Grand, le Petit, bref Robert tout court, « confiner à » est la première entrée du verbe confiner, qui signifie « aboutir, toucher à ». Peut-être aura-t-il fallu se retrouver confinés pour enfin sortir de l’isolement dont notre égoïsme, nos convictions au conditionnel, nos demi-engagements, nos révoltes en demi-teintes, nos rêves de demi-mesure et surtout nos habitudes de consommateurs étaient le véritable geôlier. Peut-être aura-t-il fallu se retrouver confinés dans une acception inédite du terme pour « aboutir, toucher à » la première entrée du verbe.



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