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  • Photo du rédacteurOlivier Balazuc

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Dernière mise à jour : 16 avr. 2020



Une date est tombée. Le lundi 11 mai. Un jour sans signification particulière dans le calendrier, mais qui succède tout de même, dans un début de mois chargé en commémorations, à la Fête du travail et à celle de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Le 11 mai prochain donc, pourrait être la date de sortie de confinement. Ou pour être plus exact, la date de mise en place d’un dispositif de sortie. Malgré toutes les incertitudes qui l’entourent, cette date, une fois annoncée, fait repartir l’aiguille de l’horloge, focalise l’attention générale sur le compte-à-rebours. Un mois.

Lundi 13 avril au soir, le ton du discours présidentiel avait changé : l’humilité semblait avoir pris le pas sur les inflexions martiales. Le chef de l’état a reconnu les errances du gouvernement, formulé sa gratitude envers les corps exposés de la nation, sa compassion pour les plus fragiles et renouvelé tacitement l’union sacrée avec la population pour parvenir à la victoire. Mais de quelle victoire s’agit-il ? À l’entendre réclamer notre patience, notre vigilance dans l’attente d’un retour à la normale, un obscur malaise s’empare de nos consciences attentives – mais non pas attentistes – comme si l’expérience de deux mois de confinement généralisé ne devait avoir d’autre signification qu’un moment difficile à passer. Où en sont les interrogations posées lors du discours inaugural d’entrée en confinement sur le monde « d’avant » et celui « d’après » ?

Depuis un mois, malgré l’immobilité forcée, le pays ne s’est pas vautré dans l’immobilisme. La réflexion, les propositions alternatives se sont multipliées de manière virale pour s’attaquer aux problèmes structurels, aux dysfonctionnements dont souffrent les sociétés contemporaines mondialisées, qui non seulement ont été incapables d’empêcher la propagation du covid-19, mais encore de la prévoir – à force de « forcer » la nature à se plier aux injonctions d’un modèle de vie hégémonique et destructeur, peut-être même l’ont-ils causée. Bien sûr, ce virus est terrifiant et a des conséquences mortelles, mais en tant qu’effet, il est venu désigner les défaillances tout aussi mortelles d’un système malade de lui-même.

L’expérience que nous traversons au niveau mondial le prouve de manière définitive : tout est lié. Les infrastructures publiques sont liées au respect de la personne humaine, qui est liée au respect de l’environnement, etc. Ces évidences n’ont pas été mises en lumière par l’apparition du covid-19, l’apparition du covid-19, au nom de ces évidences, a défini le cahier des charges du monde « d’après ». Plus de demi-mesures ou de vagues compromis. Sous peine de mort.

Lundi 13 avril au soir, nous étions donc en droit d’espérer une parole historique, une parole susceptible d’ensemencer l’avenir et de refonder du même coup le contrat social, sacrément mis à mal depuis le début du quinquennat. Or, sous l’humilité du discours, que ressort-il ? Que la priorité, après un mois de claustration supplémentaire, durant lequel le devoir civique consiste à prendre son mal en patience, serait de reprendre, tout simplement reprendre – avec toutes les précautions d’hygiène – le chemin du travail. L’économie doit repartir. C’est elle qui définit à l’avance le cadre de la victoire. Que le système se pérennise, se renforce, en absorbant les questionnements de la société et son désir de sens, dans un combat sacrificiel et résilient pour éponger les pertes.

Pourquoi décréter que les élèves devront retourner à l’école le 11 mai, alors que les universités resteront fermées ? Bien sûr, les conditions du confinement sont par essence inégalitaires et de nombreux parents, issus de milieux défavorisés, ne peuvent palier l’absence de cours auprès de leurs enfants. Mais il faut surtout rendre aux adultes leur disponibilité… En effet, comment retourner travailler si l’école n’accueille pas la progéniture ? Des mesures compensatoires, des aides exceptionnelles sont promises pour atténuer les conséquences du manque à gagner dans les secteurs d’activité les plus touchés par la crise sanitaire – et c’est la moindre des choses. Mais on sent bien que la « victoire » espérée est celle du système et non des êtres humains qui, dans leur grande majorité, le subissent. Ce discours occulte délibérément le sens à donner au sacrifice et à la résilience. De quelle société veut-on, à quelle condition et pourquoi ? Telles sont les questions que nous devons nous poser, que nous devons imposer avant de reprendre docilement le travail. Car à quoi travaillons-nous, en définitive ? À combler les pertes dues au confinement massif – c’est-à-dire les marges colossales d’actionnaires qui sont les vrais clients de l’entreprise étatique, le remboursement d’intérêts exorbitants qui enrichissent des usuriers privés sur le dos de la dette publique ? Ou bien travaillons-nous à édifier une société qui a tiré la leçon de ses blessures : une société plus juste, plus redistributive, plus solidaire ?

Le discours du 13 avril ne semble prendre aucune leçon de la pandémie – à peine un air penaud, pour consentir à des erreurs techniques : manque de préparation, tâtonnement dans les décisions stratégiques, etc. Un vague mea culpa, vite recouvert par une excuse de taille : rien ne laissait prévoir un événement d’une telle ampleur. Au fond, comme dans tout bon film catastrophe à l’américaine, ce virus serait une sorte d’entité métaphysique, la résurgence rituelle du Mal venu éprouver – pour mieux le consacrer à l’arrivée – le système en place. Et c’est bien de cette victoire-là, implicitement, qu’il s’agit. Cette victoire-là qui exige, explicitement, notre engagement.


Le virus n’est pas une entité métaphysique. Et la catastrophe sanitaire résulte avant tout d’une catastrophe systémique à échelle mondiale. Si l’on peut soudain lever des milliards d’euros, suspendre la dette de l’Afrique « à titre exceptionnel », c’est bien que de l’argent est disponible, que des solutions existent, et que de tels dispositifs, mis en place de manière concertée, peuvent servir à bâtir de nouveaux modèles de société.

En réponse à la volatilité du virus, les « gens » ne pourront plus se soumettre à la volatilité des capitaux, en vertu de l’ultra-localité imposée par le confinement, les « gens » ne pourront plus se soumettre aux menaces de délocalisation des entreprises, devant l’impossibilité de s’évader autrement que dans leur tête, les « gens » ne pourront plus accepter l’évasion fiscale. En reconnaissance d’une épreuve universelle, les « gens » exigeront le revenu universel.

Si le 11 mai devait un jour faire date dans le calendrier des commémorations, succédant à la Fête du travail et à la fin de la deuxième guerre mondiale, c’est qu’il aurait réussi à en faire la synthèse. En attendant le vaccin contre le covid-19, les « gens » seraient retournés travailler, en connaissance de cause, pour ne pas se laisser voler le monde « d’après ».

Ce serait une victoire.

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